Autrefois couverte de forêts primaires et abritant sous le nom collectif de Dayaks différents peuples autochtones, chacun possédant sa propre culture, Kalimantan, la partie indonésienne de l’île de Bornéo, a cédé au XXe et au début du XXIe siècle de grandes surfaces aux plantations industrielles de palmiers à huile et à l’exploitation minière. Les taux de déforestation les plus élevés se trouvent dans le Kalimantan central et occidental (30,7% entre 1973 et 2010). Les changements dans l’utilisation des terres et le changement climatique exercent une pression et des menaces permanentes sur les moyens de subsistance et la culture des communautés autochtones, étroitement liés à la forêt et à la biodiversité locale. Dans ce contexte, ces dernières années, la reconquête des terres ancestrales et de l’identité culturelle ont été, pour plusieurs villages de Kalimantan occidental, un moyen de préserver les écosystèmes locaux et de leur garantir des moyens de subsistance durables.

De 2016 à 2019, l’Institut Dayakologi a mené, avec le soutien du Comité Catholique contre la faim et pour le développement – Terre Solidaire (CCFD-TS) et de l’Agence française de développement (AFD), un programme axé sur la « gestion des ressources naturelles basée sur les connaissances locales des peuples autochtones » dans deux villages du Kalimantan occidental, district de Sanggau. Localement, le programme est connu sous son nom abrégé de « Holistic Empowerment Program », qui reflète l’intégration étroite de ses multiples facettes : récupérer les droits coutumiers sur les terres et les forêts, mener des activités d’adaptation et d’atténuation du changement climatique, établir des points de service locaux pour les caisses populaires, et appui à la sécurité alimentaire et aux activités génératrices de revenus.
Women meeting Kalimantan
Transition & Cooperation a été sélectionné pour conduire l’évaluation finale du programme. L’équipe était composée d’un consultant international, d’une experte national en foresterie sociale et d’une interprète locale. L’évaluation a été menée sur la base des critères de l’OCDE pour chacun des résultats attendus du programme, mais elle a également répondu de manière plus qualitative à des questions spécifiques du CCFD et d’ID. La participation des femmes et des jeunes, une composante importante du projet, a également été analysée. Les femmes et les jeunes ont ressenti un changement important au cours des dernières années, puisqu’ils osent maintenant parler et débattre des problèmes communs devant un large public.
La réalisation la plus visible et la plus précieuse du programme a été la reconnaissance  et l’enregistrement officiels des territoires et des forêts coutumières par décret en 2018, rétablissant ainsi les droits fonciers traditionnels des communautés et amorçant un mouvement de renouveau culturel. Après la reconnaissance des territoires coutumiers, les arrêtés communaux interdisant la vente de terres à des personnes n’appartenant pas aux communautés garantissent les droits fonciers des communautés et, grâce à la reconnaissance des forêts coutumières, d’importants éléments de la culture autochtone ont été rétablis, tels que les rituels et les méthodes traditionnelles de gestion des ressources naturelles.
Situé dans l’un des villages, Tiong Kandang a été la plus grande forêt coutûmière enregistrée en 2018 en Indonésie (2 189 ha). À proximité de la frontière malaisienne, Tampun Juah, bien que plus petit (651 ha), est maintenant reconnu comme un site culturel d’importance internationale par de nombreux groupes autochtones d’Indonésie et de Malaisie. Avec cette ré-appropriation, la fierté culturelle est clairement de retour, visible notamment aux signes suivants : la nouvelle vitalité des rituels et fêtes culturelles, la réhabilitation des tembawangs, jardins forestiers de la forêt coutumière, et l’émergence d’une radio communautaire locale animée par des volontaires dans trois langues autochtones. Les résultats ont été au-delà de la zone initiale du programme, avec 11 villages autochtones engagés dans la cartographie de leurs territoires traditionnels.
Le programme visait également à améliorer les connaissances, la compréhension et les compétences locales en matière de gestion des ressources naturelles grâce à l’atténuation des effets du changement climatique et à l’adaptation à ceux-ci, sur la base des connaissances autochtones. La plupart des membres de la communauté pouvaient déjà observer eux-mêmes les effets locaux du changement climatique. Des activités de reboisement ont été lancées et les ménages ont pu à nouveau gérer les tembawang, des systèmes agroforestiers basés sur des arbres fruitiers, à l’intérieur de la zone forestière. Des membres des communautés locales se sont portés volontaires comme gardes forestiers pour surveiller les activités menées dans la zone forestière.
Le programme comportait deux volets économiques : l’établissement de deux points de service locaux d’une Union de Crédit et la promotion d’activités agricoles contribuant à la sécurité alimentaire et sources alternatives de revenus. Plusieurs groupes d’activités génératrices de revenus ont été constitués, impliqués dans l’élevage, la culture maraichère et la riziculture. Parce que, ou malgré l’échec de la mise en œuvre locale du Système d’Intensification du Riz (SRI), les femmes ont commencé à conserver leurs propres semences, gérant 9 à 12 variétés locales de riz.
Les produits commerciaux tels que le caoutchouc, le poivre ou le cacao posent certains problèmes, notamment des prix instables et la présence
parasites quand ils sont cultivés de manière trop intensive.

Cependant, les activités forestières, telles que la récolte d’arbres fruitiers, dont le durian, star nationale, et la récolte du sucre de palme, s’avèrent très prometteuses, et préservent la biodiversité locale. Nous avons conseillé un soutien plus important pour la commercialisation et la mise en valeur de ces produits.

Un autre défi pour la consolidation des impacts positifs du programme est lié au chevauchement de 40 ha entre la forêt coutumière de Tampun Juah et une concession d’huile de palme. Des mécanismes efficaces de résolution des conflits et la mise en place d’activités effectives productrices d’aliments et génératrices de revenus, susceptibles de remplacer les emplois dans les palmeraies, sont nécessaires pour relever ce défi.
L’enregistrement des terres et des forêts ancestrales n’est donc que la première étape pour le peuple Dayak du district de Sanggau. Les alternatives aux plantations de palmiers à huile seront viables si la mise en place de moyens de subsistance durables est consolidée, basées sur la collaboration avec les écosystèmes locaux et la revitalisation des cultures autochtones.
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