Une participation de toute la filière
Fairtrade, le principal label de commerce équitable organisait le Forum International du Coton équitable et bio-équitable d’Afrique de l’Ouest, à Paris le 15 mars 2016. Tous les acteurs de la filière étaient présents pour cette édition étaient présents : des représentants de coopératives de producteurs, des entreprises du secteur filature – textile – habillement, des professionnels du commerce équitable, et de Fairtrade Africa, organisation représentant 410 organisations et 932 000 producteurs affiliés à Fairtrade International sur le continent africain. Cette participation a fait de ce forum une opportunité d’échanges exceptionnelle et enrichissante, dont les questions de fond et les remises en question n’ont pas été absentes.
Dans la matinée, Anne-Catherine Kane, liaison officer de Fairtrade Africa a brossé un panorama du coton équitable africain, encore modeste pour le mouvement du commerce équitable : 9 organisations regroupant 22 600 producteurs de quatre pays d’Afrique de l’Ouest y sont impliqués, ainsi que 13 organisations en Ouganda, en Egypte, en Inde et au Brésil. Quelques entreprises ont également des contrats de production avec des producteurs indépendants, principalement en Inde.
Des constats préoccupants
Producteurs et acheteurs ont initié cette journée par un constat préoccupant et largement partagé : presque dix ans après son lancement, le coton équitable est l’un des rares produits du label Fairtrade dont les ventes ont baissé depuis 2009, alors que, comme l’a rappelé plus tard Julie Stoll, directrice de la plate-forme pour le commerce équitable en France, les ventes sous ce label ont atteint 7 milliards d’euros en 2015. Partant du constat de la chute des prix du coton sur le marché international, des organisations de producteurs du Sénégal, Mali, Burkina Faso et Bénin ont en effet investi dans la certification Fairtrade, lancée en 2005 avec des partenaires industriels et institutionnels français, qui leur garantit un meilleur prix que celui actuel du marché. Mais depuis 2009, la demande de coton équitable est plus de deux fois inférieure à l’offre des producteurs (19 300 tonnes contre 45 500 tonnes).
Ainsi, pour la 2e année consécutive en 2015, de nombreuses coopératives n’ont pas pu vendre leur coton aux conditions du label de commerce équitable. Cette situation explique le non paiement des frais de certification par trois organisations de producteurs (soit une sur quatre), deux au Sénégal et une au Bénin, entraînant ainsi leur décertification par le certificateur en 2015. D’autres organisations ont annoncé qu’elles quitteraient le système si les ventes ne se rétablissaient pas dès cette année. Le témoignage concret et poignant d’un producteur malien a illustré les conséquences humaine de la crise actuelle du coton équitable ouest-africain.
Un coton avec de multiples qualités
Le coton équitable ouest-africain est pourtant reconnu comme étant d’excellente qualité, du fait de la longueur de sa fibre et des conditions de production. En Afrique de l’Ouest, le coton est cultivé sans irrigation, ce qui assure une bonne empreinte eau, laissant l’usage de cette dernière pour les besoins des familles. Sur le plan environnemental, le label Fairtrade garantit une baisse conséquente dans l’usage des pesticides, interdisant les plus nocifs, ainsi que des engrais chimiques. Environ la moitié du coton labellisé Fairtrade est également certifiée biologique, contre 0,55% seulement du coton conventionnel. La qualité biologique du coton semble d’ailleurs attirer davantage les consommateurs que le commerce équitable, le marché du coton biologique étant, à l’inverse du coton équitable, soutenu depuis de nombreuses années par une progression régulière de la demande. Une solution à la mévente du coton équitable ne serait-elle donc pas de miser davantage sur la certification biologique, pour se rapprocher de 100% de coton avec la double labellisation bio-équitable ?
Les difficultés de la conversion au bio
Pour répondre à cette interrogation et apprécier les difficultés de la conversion des cotonculteurs encore en agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique, il est nécessaire de comprendre les systèmes de productions des cotonculteurs ouest-africain. La Sodefitex, qui est leur partenaire au Sénégal, le décrit ainsi :
Comme ailleurs en Afrique de l’Ouest, le coton sénégalais est une culture de rente qui s’inscrit dans un système de polyculture l’associant à des culture vivrières (maïs ou mil) et parfois à l’élevage. Le marché pour la valorisation de l’agriculture biologique n’existant pas pour ces culture vivrières, la recherche de rendements éloigne les paysans de l’agriculture biologique.
Nous avons vu comment les difficultés à trouver un débouché pour le coton équitable conduisent les organisations à abandonner la certification Fairtrade. Lorsque les prix du coton ne sont pas assez rémunérateurs, les producteurs abandonnent même parfois sa culture pour se tourner vers la production d’arachide. Aux problèmes de méventes s’ajoutent par ailleurs, pour toute la zone sahélienne, le constat de l’impact du changement climatique, lui aussi largement partagé, qui provoque un retard des pluies d’un mois ou plus, et une insuffisance des précipitations.
Le diagramme ci-dessous résume les informations évoquées, relatives aux enjeux du coton équitable ouest-africain :
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Le point de vue des acheteurs
Le témoignage d’acheteurs a permis d’éclairer les difficultés du marché du coton équitable africain. Pour M. Devilder, président de la société Devcot, la demande en coton équitable est presque nulle, les clients lui préférant le coton bio-équitable. L’entreprise TDV Industries est elle engagée dans le coton biologique et/ou équitable depuis le fil jusqu’au vêtements. Les acheteurs constatent néanmoins l’impossibilité de trouver une gamme complète de coton aux conditions du commerce équitable, et par conséquent de tissus équitables. Pour assurer la commercialisation du coton biologique et équitable acheté par TDV, Industries celui-ci est souvent associé au polyester recyclé.
La précarité de la filière a sans doute fragilisé certaines organisations paysannes. Pour un expert béninois du coton présent à la première table-ronde, le leadership des organisations paysannes de la filière coton en Afrique de l’Ouest est devenu un problème. Plusieurs intervenants étaient d’ailleurs d’avis que construire un système de contrôle interne partagé par l’ensemble des organisations d’un pays afin de réduire les coûts de certification (comme c’est le cas par exemple pour les coopératives de producteurs de café au Burundi) représenterait un danger en termes de crédibilité.
Dans ce paysage un peu morose, la bonne nouvelle est l’engagement des acheteurs publics et des filière du vêtement professionnel en faveur du coton équitable, pour lequel la France fait l’objet de pionnier (La Poste, Mairie de Paris, Cepovett, Kiplay, Armor Lux…), suivie par d’autres pays européens (London Railway, Swiss Railway…). Le géant des cosmétiques L’Oréal soutient également 532 cotonculteurs sénégalais en commerce équitable, pour la production d’une serviette labellisée Fairtrade, qui sera offerte à tous les coiffeurs européens d’ici l’été 2016. Le sur-coût sur le produit fini est évalué par l’Oréal à 20%.
Remonter aux causes…
Les caractéristiques particulières de la filière du vêtement et de la mode expliquent en partie les difficultés du coton équitable africain, lancé par une organisation de labellisation du commerce équitable ayant davantage l’expérience des filières alimentaires comprenant moins d’intermédiaires et des mouvements moins rapides. Le client final méconnaît souvent l’origine et les mouvements du coton, et semble souvent plus préoccupé par la qualité biologique éventuelle de la fibre que par les conditions socioéconomiques des producteurs.
Par ailleurs, la catastrophe du Rana Plaza, immeuble abritant des sous-traitants textiles qui s’est effondré le 24 avril 2013 au Bangladesh, entraînant la mort de plus de 1000 ouvrières, a pu en partie déplacer les préoccupations éthiques des consommateurs et la notion de responsabilité sociale des fabricants plus en aval de la filière.
Enfin, le lancement du programme Better Cotton Initiative a brouillé l’image du coton OGM. En effet, l’argument principal de ce programme est la réduction de l’usage des pesticides, mais celui-ci est souvent obtenu par l’utilisation de semences génétiquement modifiées !
… et formuler des propositions
Les constats énoncés durant ce forum ont emmené les participants à formuler en atelier des propositions, bien accueillies par Anup Kumar Singh, directeur produit mondial coton pour Fairtrade :
- Le label Fairtrade devrait travailler sur l’ensemble de la filière, les entreprises et consommateurs étant plus sensibles à un vêtement équitable qu’à un vêtement avec du coton équitable. L’organisation a d’ailleurs prévu le lancement des premières certifications textile équitable en juin 2016.
- Au niveau stratégique, il semble plus porteur de miser sur la qualité bio-équitable que sur la simple labellisation équitable. L’effort de conversion des producteurs à l’agriculture biologique pourrait donc être soutenu
- Des producteurs souhaiterait que le paiement des frais de certification Fairtrade soit lié à la vente effective du coton équitable par les organisations. Il faut noter que les organisations de producteurs peuvent déjà faire appel à un fond d’appui à la certification géré par Fairtrade, et ce à tout moment de leur existence et pour 2 années consécutives. Cet appui couvre environ 70% des frais de certification des producteurs.
- Enfin, il serait souhaitable de renforcer l’appui aux producteurs, de la part des gouvernements et des agences de coopération internationales.
- Les organisations et entreprises africaines pourraient elles-mêmes se tourner vers le marché africain du textile et de l’habillement. En s’alliant aux créateurs africains, comme Claire Kane au Sénégal, le coton biologique et équitable pourrait s’adresser également aux classes moyennes africaines, un marché loin d’être négligeable.
Conclusion
En définitive, la crise du coton équitable ouest-africain interroge le modèle de labellisation du commerce équitable mis en place depuis plus de 30 ans par Max Havelaar / Fairtrade. En concentrant son action sur les matières premières, l’organisme de labellisation a garanti un meilleure revenu et de meilleures conditions commerciales à près de 2 millions de producteurs dans plusieurs dizaines de filières, un accomplissement qui reste à relativiser au regard des enjeux du commerce international. De ce point de vue, l’agriculture biologique et l’agroécologie sont davantage parvenu à changer les règles de production que le commerce équitable les règles du jeu du commerce international.
Si le Forum Coton Paris 2016 a mis en évidence un constat, c’est bien que l’enjeu des revenus des producteurs de coton africain ne peut être traité au seul niveau de l’achat et de la vente de la matière première, mais bien en associant du mieux possible l’ensemble des acteurs de la filière. C’est également l’opportunité pour Fairtrade d’affirmer pour la première fois la nécessité d’une évolution vers des modes de transformation et de consommation plus soutenables, que je résumerais par le slogan “Fair fashion, not Fast fashion”. Non pas produire plus, fusse-ce de coton équitable, mais produire mieux, de la balle de coton au textile et au vêtement. De nombreux acteurs présents à cet événement y sont prêts. Une orientation stratégique doit maintenant être mise en place pour sortir le coton équitable de sa crise en l’arrimant à une évolution de l’ensemble de la filière.