La 11e Conférence des Parties à la Convention sur la Diversité Biologique (COP11) s’est déroulée à Hyderabad, en Inde, au mois d’octobre. Pendant deux semaines, les représentants des 164 pays signataires de la CDB ont examiné les deux questions à l’ordre du jour de cette COP : le financement des mesures de protection de la biodiversité, et la mise en oeuvre du Protocole de Nagoya sur l’Accès et le Partage des Avantages (APA).

La question du financement des mesures de protection et de restauration de la biodiversité a fait l’objet d’une longue discussion, et de mesures courageuses sur le papier, comme le doublement du financement consenti à cet effet par les pays développés au pays en développement. Mais les gouvernements n’ont pas pris en considération la dimension systémique de cette question, qui la relie à d’autres défis de la transition écologique et social de notre modèle économique. Ils ont ainsi écarté les propositions de suppression des subventions actuelles nuisibles à l’environnement, et singulièrement aux énergies fossiles, et de transfert des sommes correspondantes vers la protection de la biodiversité, ce qui assurerait à celle-ci des montants très supérieurs à ceux en discussion.

La mise en oeuvre du protocole de Nagoya, adopté lors de la précédente Conférence des Parties, il y a exactement deux ans (2010), était le deuxième sujet à l’ordre du jour. Ce protocole vise à définir les modalités d’accès aux ressources génétiques et de partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. Avec une portée opérationnelle, il traite de l’accès à ces ressources liées à la biodiversité locale, du partage de ses avantages et des mesures à mettre en oeuvre pour évaluer le respect des règles nationales et des règles contractuelles.

Parfois accusées de biopiraterie par des communautés locales ou des organisations de la société civile, les entreprises des secteurs intéressés par les ressources génétiques (ingrédients naturels, pharmacie, cosmétique, parfumerie…) sont surtout intéressées à connaître les modalités d’application du Protocole de Nagoya, c’est-à-dire les “règles du jeu” de l’accès et du partage des avantages avec les Etats détenteurs de la souveraineté sur ces ressources, et avec les communautés locales qui détiennent des savoirs liés à ces ressources, ou gèrent celles-ci de façon durables.

Ecoutez ce 4 minutes de France Info (le 10 octobre 2012), où l’on explique ce qu’est le “piratage du vivant”. Les exemples donnés, et les réactions d’un chef d’entreprise et d’une députée européenne sont révélateurs des enjeux du débat sur l’accès et le partage des avantages à Hyderabad.

 

Les difficultés d’application du Protocole de Nagoya tient à l’interface du partage des avantages avec les droits de propriété intellectuelle, comme le brevet, qui sont conçus pour protéger l’innovation industrielle, et non pas les savoirs traditionnels. Théoriquement, celui-ci pourrait bénéficier, sous l’article 27 des ADPIC, d’un droit sui generis. Mais dans les faits, le groupe de travail chargé de cette question à l’OMPI (Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore) doit encore assumer une perspective plus fondamentale dans son travail.

Après que j’eus donné un exemple parlant de piratage d’une espèce et de connaissances locales, le PDG d’une société d’ingrédients explique que le brevet “permet de protéger notre travail, nos investissements…”. Peut-être. Mais quel dispositif et quelle institution protège actuellement le travail des populations autochtones et rurales, qui ont maintenu et souvent fait co-évoluer leur environnement pendant des générations, et développer des connaissances sur la gestion et l’usage des écosystèmes et des espèces locaux, dont on mesure aujourd’hui mieux l’importante valeur ? Avec plusieurs élues européennes investies sur cette questions, nous pensons qu’un autre modèle juridique prenant en compte la biodiversité et les savoirs traditionnels est possible. Sandrine Bélier propose par exemple de les considérer comme des biens communs, soit locaux soit mondiaux, sur lesquels les entreprises n’auraient qu’un droit d’usage. Catherine Grèze a commandé un rappport sur Les droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques et la lutte contre la pauvreté, qui contient des recommandations importantes.

Les enjeux soulignés dépassent le cadre de la mise en oeuvre du Protocole de Nagoya en questionnant le système de protection de la propriété intellectuelle, organisé au niveau mondial au sein de l’Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce (ADPIC), annexé à l’acte constitutif de l’Organisation Mondiale du Commerce (1994). En attendant un cadre plus cohérent pour le respect de la biodiversité et des savoirs traditionnels, les entreprises ont la responsabilité de suivre les procédures de l’Accès et Partage des Avantages non seulement dans la lettre, mais aussi dans l’esprit.

 

 

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