français Biodiversité : deux mondes en dialogue

chamane avec des lianes d’ayahuascaCC Howard G Charing

Dans mon dernier post, j’ai évoqué les questions juridiques et éthiques relatives à l’usage des espèces natives et des savoirs indigènes sur celles-ci. Il a été question de la Convention sur la Diversité Biologique, de la notion de biopiraterie, et de la question de la propriété intellectuelle, notamment des brevets. Avant d’aborder les pratiques des entreprises en matière de partage des avantages relatifs à la biodiversité, je voudrais attirer l’attention sur une caractéristique du travail avec les peuples indigènes et certains peuples ruraux : la différence profonde d’approche de la nature, de l’humain, bref de l’univers, entre ces peuples et notre monde contemporain, qui domine les échanges économiques.

Au cours des derniers siècles, le progrès technologique a permis un développement prodigieux des richesses matérielles et du bien-être de certaines parties du monde. L’organisation des échanges commerciaux et la pensée économique ont été les principaux outils de ce développement. Les facteurs techniques et financiers ont longtemps été les seuls à être pris en compte (travail, échanges, capital, profit, etc.), la nature ayant très longtemps été considérée comme une « externalité », c’est-à-dire un réservoir quasi-inépuisable de ressources, et un puits pour les déchets de tout type. Les industries de la nutrition, de la santé et du bien-être elles-mêmes ont été conditionnées par ce modèle.


                                       CC RDECOM

La video pédagogique “The story of stuff” d’Annie Léonard explique bien ce fonctionnement linéaire de l’économie, que l’on sait dépassé. Pourtant, le modèle a longtemps été appliqué par les industries cosmétiques, motivant une campagne de la pédagogue dans son pays, les Etats-Unis. Certes, celle-ci se réfère au marché nord-américain, moins protecteur du consommateur que le marché européen, mais la réalité mentionnée témoigne d’une réalité largement répandue dans le secteur : la plupart des produits cosmétiques contiennent un cocktail élevé de produits chimiques, dont seuls 20% ont été testés pour leur innocuité.

The story of stuff” d’Annie Leonard  – avec sous-titres français

Pourtant, un grand nombre des substances utilisées dans les industries liées à l’alimentation et au bien-être, qu’elles soient issues de la pétrochimie ou des écosystèmes, sont brevetées par les entreprises qui en font le premier usage. Cette réalité est particulièrement décalée pour ce qui concerne l’usage des plantes et procédés connus de longue date par des populations locales. Mais le droit de propriété intellectuelle ne protège, à quelques exceptions près, que les connaissances écrites et reconnues comme scientifiques. Ainsi, toutes les connaissances traditionnelles sur l’environnement et son usage, transmises oralement de génération en génération, peuvent être facilement appropriées par des entreprises privées. Sauf lorsque les Etats, à l’instar de l’Inde, de la Chine ou du Pérou, ont mis au point des législations et des bases de données démontrant l’antériorité et décrivant ces connaissances traditionnelles. Cette réalité d’une économie linéaire (produit – consommation – déchets) est à l’opposé d’un modèle respectueux des écosystèmes et des personnes (producteurs et consommateurs).

A l’opposé de ce fonctionnement productiviste, et dirigé principalement vers la production, l’économie des peuples autochtones et encore de beaucoup de peuples ruraux est circulaire. Ces peuples ont gardé une compréhension du monde dans laquelle l’être humain et ses activités sont totalement intégrés aux forces de la nature et de l’univers. Pour celle-ci, il n’existe aucune coupure entre le monde physique, le monde naturel et le monde humain. La sphère des échanges inclut aussi bien les animaux, les plantes et même les minéraux que les êtres humains. Ce que nous percevons comme des rituels magiques participe souvent ainsi à la volonté de maintenir un équilibre entre ces différents éléments de l’univers, que chaque peuple traduit dans son mode de croyance. Cette approche, bien qu’imprégnée de symboles et de mythes, correspond beaucoup mieux à la dynamique réelle du monde vivant que la vision mécaniste qui domine le monde économique. Elle s’appuie sur une connaissance très fine du milieu naturel : espèces, sols, climat, etc.

Ainsi, certains peuples de la forêt connaissent l’usage de 200 à 450 plantes utiles. Ils ont appris à neutraliser le poison contenu dans le manioc pour en faire un aliment de base, ou au contraire à déclencher la substance active de l’ayahuasca, une liane amazonienne qui donne une boisson au pouvoirs psychotropes. Les peuples autochtones ne considèrent pas ces connaissances comme leur propriété, mais comme le résultat d’une transmission qui leur a été faite par des forces de la nature ou de l’univers. Malgré tout, la notion d’économie circulaire s’impose progressivement comme un cadre répondant aux impasses de l’économie linéaire qui domine le monde contemporain. Celle-ci vise à optimiser les flux d’énergie et de matière, en minimisant leur consommation, et surtout en optimisant les rejets. Les filières qui travaillent sur des produits naturels, ou mieux biologiques, ont une longueur d’avance dans la transition vers une économie circulaire. En effet, elles ne rejettent en principe pas de substance toxique dans l’environnement. Reste à prêter attention également aux transports et à l’emballage.

Mais on ne peut pas parler d’économie circulaire sans prendre en compte les communautés qui participent aux écosystèmes locaux. En effet, celles-ci ont souvent contribué à la préservation et même à l’évolution d’écosystèmes que nous percevons comme sauvages, comme les forêts primaires, les systèmes côtiers, les steppes ou la banquise. Et les connaissances que ces peuples ont des écosystèmes locaux a une valeur économique importante pour les entreprises qui l’utilisent, y étant autorisées ou non. Ainsi, une entreprise peut économiser de 300 à 400 tests sur des plantes prises aléatoirement afin de découvrir des propriétés intéressantes, si elle s’intéresse aux savoirs des peuples autochtones et locaux. On comprend dès lors que l’appropriation de ce savoir sans accord ni retour à la communauté est illégitime.

Dans les parties suivantes de cette série d’articles, nous examinerons quelques bonnes pratiques en matière de partage équitable, et questionnerons l’utilité des labels pour les identifier.

Rappel : Vous pouvez écouter deux interviews sur le sujet : L’une sur Aligre FM, à l’émission “Voix contre oreille” le 6 octobre 2010 (60 minutes) : Ecouter ici.

L’autre le 20 mars 2011 avec le Pasteur B. Stehr, sur Fréquence Protestante (30 minutes). Ecouter ici.

Pour l’une et l’autre interview, une nouvelle fenêtre s’ouvrira dans votre navigateur, que vous pourrez fermer après avoir écouté l’interview.

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