Mardi 28 juin 2011 avait lieu à Paris une conférence officielle sur les enjeux de la mise en oeuvre en outre-mer de l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages issus de leur utilisation. Organisée dans les locaux de la Délégation Générale à l’Aviation Civile, en présence de représentants politiques et administratifs des territoires d’Outre-Mer, certains ayant fait le déplacement, d’autres présents par vidéoconférence, et surtout de nombreux chercheurs, l’essentiel de cette soirée a été consacrée à la restitution de l’étude de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB) commandée par les Ministères chargés du développement durable et de l’Outre-Mer.

De nombreux moyens avaient été déployés pour la restitution de cette étude : buffet dans la tradition  de l’administration française, vidéoconférence, documentation. Au final, prédomine cependant l’impression d’une prise en compte balbutiante par les territoires français de la Convention sur la Diversité Biologique (1992-93), et une approche des participants très majoritairement administrative et juridique. Les représentants des communautés autochtones n’ont eu que très peu de temps de parole, les entreprises juste un peu plus, témoignant de la prépondérance des enjeux institutionnels et, concernant les acteurs, de la recherche publique sur le monde économique.

La biodiversité et les savoirs traditionnels : des enjeux colossaux, traités de façon fragmentée

L’ampleur de l’enjeu que représente la préservation de la biodiversité en outre-mer ne fait aucun doute, lorsque l’on sait que 80% de la biodiversité française s’y trouve. Un hectare de forêt guyanaise contient autant d’espèces vivantes que toute l’Europe occidentale. La Polynésie et la Nouvelle Calédonie, les deux autres territoires ultramarins étudiés par la FRB, ont un espace maritime considérable (97% de l’espace maritime français), et de nombreuses espèces encore inconnues s’y trouvent. Sur terre, les populations autochtones ont conservé des pharmacopées et autres savoirs traditionnels pouvant être plus largement utiles.

La Convention sur la Diversité Biologique identifie précisément la valorisation durable de la biodiversité comme un des instruments de sa préservation, et propose d’organiser (article 15) l’accès et le partage juste et équitable des avantages (APA) qui seraient issus de cette valorisation. Le protocole de Nagoya (2010) précise les conditions de l’APA. Une vingtaine de pays, en Amérique latine, Afrique australe et Asie du Sud, ont ratifié le protocole. La France, qui a ratifié la CDB le 1er juillet 1994, promet de signer le protocole lors de sa prochaine traduction en français (attendue pour septembre 2011).

La France est à une des premières places mondiales en ce qui concerne deux secteurs intéressés par la valorisation de la biodiversité : l’industrie cosmétique et la parfumerie (chiffre d’affaires mondiale : 16 milliards d’euros), un des rares secteurs à ne pas avoir connu de crise depuis plus de 40 ans, et l’industrie pharmaceutique, qui pèse 4 à 5 fois sa cadette. Ces industries se fournissent cependant majoritairement en dehors des territoires français d’Outre-Mer, dans des pays où la valorisation des ressources est mieux organisée. Cependant, de nombreux organismes de recherche scientifique sont basés en Outre-Mer, qui représente ainsi un potentiel important pour la France.

Les territoires d’Outre-Mer, plus particulièrement concernés par une exploitation potentielle des ressources génétiques des espèces natives et des savoirs traditionnels associés, ont commencé à mettre en place, en ordre dispersé, des clauses de partage des avantages, suivant l’interprétation des autorités locales et le jeu local particulier des acteurs institutionnels et sociaux. Ainsi, la province Sud de Nouvelle Calédonie a mis en place un groupe de travail et une réglementation en 2009 sur les ressources génétiques. A cause de la fragmentation administrative, cette réglementation n’envisage que les aspects environnementaux, et les connaissances traditionnelles ne sont donc pas concernées par le partage des avantages. Celui-ci s’effectue uniquement sur la base de la propriété foncière, à hauteur de 2% environ des bénéfices, et n’envisage pas le domaine coutumier. La Polynésie ne dispose pas encore de texte sur cette question, les acteurs locaux posent d’abord la question de la reconnaissance des communautés autochtones locales. Un séminaire sur les rapports nature/culture y est prévu au mois de novembre. En l’absence de cadre juridique, une entreprise comme Pacific Biotech témoigne de la mise en place, couteuse, de systèmes éthiques propres. En Guyane, enfin, le Parc Amazonien de Guyane a mis en place des règles d’accès aux ressources génétiques. Les enjeux liés à la recherche scientifique y apparaissent prépondérants, par la forte présence des institutions de recherche. La question de l’articulation avec les pays amazoniens limitrophes, et notamment le Brésil, n’a pas été évoquée, mais la législation brésilienne bénéficie d’un article dans le rapport de la FRB.

Retour sur l’étude et sa méthodologie

La méthodologie suivie et présentée par la FRB était prévue par l’appel d’offres du ministère, et suit un plan très classique, quasi académique, en trois temps et trois documents. Après une étude bibliographique (doc. 1), 3 études de cas (doc. 2), un document développe les propositions du panel de 11 experts (doc. 3). Chacune des études du 2e document, faite par une équipe différente, a sa propre page de “méthodologie”, semblable en fait à celle des autres cas.

Le premier document est une étude juridique énumérant les textes de loi et les dispositifs. Cette énumération de textes disparates, comporte peu d’analyse institutionnelle ou critique. Le plan en donne une idée : 25 pages de synthèse bibliographique, 25 pages de “tableaux relatifs aux dispositifs d’accès (…) dans l’outre-mer”, et 6 pages de “textes prévoyant l’application de l’APA en outre-mer”.

Le deuxième document, “études de cas”, suit une méthodologie analogue, avec description des institutions et textes applicables dans chaque territoire, et des éléments analytiques. Par exemple, la délibération de la province Sud de Nouvelle Calédonie, la seule à avoir un régime d’APA, n’envisage pas les savoirs traditionnels, “en raison du partage des compétences”. “La direction de l’environnement est cependant consciente que (sic) ce manque au vu des spécificités culturelles de la Nouvelle-Calédonie et la présence de communautés autochtones détentrices de savoirs traditionnels.” Ce fait est très révélateur de la rigidité du système administratif français, et de sa difficulté à s’adapter aux objectifs des textes de loi, nationaux ou internationaux. Quatre pages décrivent l’organisation des communautés autochtones. Mais il n’y a, pour ce territoire, que deux paragraphes sur les ONG présentes, et trois lignes sur le secteur privé, que nous retranscrivons ici :

“Les entreprises œuvrant en Nouvelle-Calédonie n’ont pas été identifiées avant la mission, ni lors des rencontres avec les autres acteurs. Il apparaît cependant que les activités des entreprises des pépiniéristes et des plantes ornementales constituent un secteur important.”

L’essentiel de cette partie porte sur l’organisation des institutions, de l’APA, la description de la réglementation, et les exemples de formulaires utilisés (23 pages). Ainsi, les enjeux et les expériences portés par les populations autochtones et par le secteur privé n’ont pas paru être suffisamment intéressants aux auteurs pour être traités dans leur l’étude. La description des peuples autochtones, de leurs droits et organisations est plus développé pour la Guyane (8 pages), mais les entreprises ne sont cette fois citées qu’à travers Guyane Technopole. Il est vrai que les structures de recherche sont extrêmement présentes en Guyane, que le secteur privé y est embryonnaire, même si la biodiversité guyanaise et amazonienne attire aussi le secteur privé.

Dans le cas de la Polynésie française, après présentation du territoire et du contexte institutionnel, l’évocation du secteur privé mentionne cette fois les 3 “grappes d’entreprises” d’Outre-Mer. Les 20 entreprises de la grappe polynésienne Tahiti Fa’ahotu sont citées dans un tableau en annexe.

Les propositions du panel d’experts

Les propositions consignées dans le dernier document de l’étude de la FRB sont portées par le panel de 11 experts mis en place par la FRB. On constate que ces experts sont issus principalement de la recherche et des institutions, avec des compétences multi-disciplinaires en anthropologie, biologie, droit, et économie. Mais aucun représentant du monde des communautés autochtones ne participe en tant que tel au panel, ni d’ailleurs du monde économique ou associatif.

Par ailleurs, les propositions du panel sont simples et pragmatiques :

  • Le champ d’application (ressources génétiques) d’un dispositif APA est précisé, la nécessité de prendre en compte les communautés autochtones et locales est rappelée, tout en soulignant les difficultés posées par cette question en droit français.
  • Le panel recommande la mise au point d’une procédure unique, simple et rapide, pour la recherche commerciale et non commerciale.
  • Deux types de protection sont envisagées pour les connaissances traditionnelles non diffusées : un aménagement des droits de propriété intellectuelle existants, ou bien un régime sui generis.
  • L’autorité compétente doit assurer la plus grande harmonisation possible des procédures, tout en prenant en compte les spécificités locales.
  • La notion de “partage des avantages” souligne le fait qu’il peut y avoir des avantages monétaires et non-monétaires, selon le type de recherche et les spécificités locales.
  • Enfin, le panel fait des recommandations sur l’organisation de la procédure d’accès, le suivi et le contrôle du partage des avantages le long de la chaîne d’utilisation.

Les commentaires des élus et représentants coutumiers locaux

La deuxième table-ronde de la restitution regroupait des élus locaux et des représentants coutumiers des Territoires d’Outre-Mer ainsi qu’un représentant de l’entreprise Pierre Fabre.
Armand Goroboredjo, Sénateur coutumier de Nouvelle Calédonie, s’est interrogé sur les garanties de reconnaissance des peuples autochtones et de partage des avantages, suivi par Pascal Ethel Hatuuku, de la Délégation polynésienne à l’environnement, tandis que Fabien Canavy, Conseiller général de Cayenne Sud a demandé la signature par la France de la convention 169 de l’OIT, tout en suggérant de coopérer avec le Brésil sur cette question. Raphaël Mapou, chargé de mission au sénat coutumier, soulignait pour sa part le fait que les droits coutumiers étaient toujours, en Nouvelle Calédonie, des droits coutumiers, un aspect que la législation avait du mal à prendre en compte.

Résumé et conclusions

L’étude présentée le 28 juin 2011 sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages en Outre-Mer a examiné avec attention les contextes institutionnels d’une mise en application du protocole de Nagoya de la Convention sur la Diversité Biologique dans les territoires d’Outre-mer, où se concentre 80% de la biodiversité française et de nombreux peuples autochtones, détenteurs de savoirs traditionnels. Elle intervient 17 ans après la ratification de la Convention par l’Etat français. En l’absence de politique nationale jusqu’à présent, plusieurs collectivités d’Outre-mer (Nouvelle Calédonie Sud, Guyane) ont mis au point des procédures propres pour appliquer ses dispositions de partage des avantages, sans pouvoir contourner les écueils représentés par la fragmentation administrative et l’article 1 de la constitution française, qui ne reconnait pas l’existence de peuples autochtones. L’existence de cette étude traduit cependant une prise de conscience de la nécessité et des enjeux à traduire en droit français le texte signé au niveau international peu après la conférence de Rio, dont on célébrera demain le vingtième anniversaire.
Pour autant, cette avancée se heurte encore à certains tropismes hexagonaux : l’absence d’analyse des expériences liées au secteur privé, l’absence de référence aux bonnes et mauvaises pratiques de législations étrangères, une prise en compte insuffisante du point de vue des communautés autochtones elles-mêmes, un regard insuffisamment prospectif sur l’évolution des réalités économiques et politiques. Un débat plus large, incluant davantage les parties prenantes que sont les communautés locales, la société civile, et certaines entreprises, permettrait s’en doute une élaboration plus partagée et une mise en place plus efficace d’un cadre institutionnel et législatif longtemps attendu.

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