La Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique (FNAB) vient de lancer le label Bio Français Équitable. « Le marché biologique se développant, l’opportunité s’est présentée de construire des partenariats forts avec des entreprises de l’agro-alimentaire sur une bio qui corresponde à nos valeurs », a déclaré Stéphanie Pageot, secrétaire nationale de la FNAB dans un communiqué publié mardi 10 mars 2020. Quel avenir peut-on espérer pour ce nouveau label ? Vient-il concurrencer les labels existants ? Suit-il les mêmes principes ?

Notons d’abord que ce nouveau label s’inscrit dans un paysage de certifications volontaires déjà encombré. Si le label «Agriculture Biologique» est aujourd’hui le seul à suivre une norme européenne unique et à être accrédité par l’État français, plusieurs labels se réclament légitimement du commerce équitable :

  • le label historique Fairtrade,
  • le label Fairtrade by Ecocert,
  • le label Symbole des Producteurs Paysans, issu du mouvement coopératif de producteurs latino-américains et choisi par plusieurs opérateurs en France (Éthiquable, Café Michel…),
  • enfin, les labels Bio Cohérence et Biopartenaire, portés notamment par des fédérations de distributeurs bio spécialisés, comme Biocopp et la Vie Claire, avaient déjà tenté de «mettre de l’équitable dans le bio», le premier pour des produits 100% français, le deuxième pour des produits internationaux.

Par ailleurs, Commerce Équitable France, avec son programme «Commerce Équitable Origine France» et un partenariat avec la fédération InPACT, a élargi depuis quelques années le champs du commerce équitable au relations Nord-Nord. À ce stade, nous ne savons pas si cette plate-forme a été consultée par la FNAB avant le lancement de ce nouveau label. Les démarches sont en tout cas différentes.

Remarquons aussi que ces évolutions se sont concrétisées entre 5 et 10 ans après que nous les ayons annoncées dans notre Cahier de Propositions pour le Commerce Équitable au 21e siècle (publié en 2003 aux ECLM). Mais si le commerce équitable a su s’élargir et répondre à de nombreux questionnements au cours des 20 dernières années, l’agriculture biologique n’est pas en reste. Comme pour le commerce équitable, des labels plus exigeants ont vu le jour, par exemple le label Demeter (à ne pas confondre avec la cellule gouvernementale récemment créée sous le même nom), qui reprend les principes de l’agriculture biodynamique, ou les labels Bio Cohérence et Biopartenaire.

Comme toute certification qui se respecte le label Bio Français Équitable a un cahier des charges précis, que l’on peut trouver sur le site Web de la FNAB. Si la partie «champs d’application» insiste surtout sur l’origine biologique et française des matières premières, les «exigences du cahier des charges» reprennent les principes de la démarche du commerce équitable :

  • Partenariat avec des producteurs marginalisés / précarisés (un critère contestable) ;
  • Un prix garantissant une rémunération suffisante des agriculteurs et une marge leur permettant d’investir dans leur outil de production et la commercialisation ;
  • Des contrats d’une durée minimum de 3 ans ;
  • La traçabilité des produits.
  • Sous «environnement» figure la seule exigence de certification biologique des opérateurs (producteurs, intermédiaires et opérateur – propriétaire de marque)
  • Le «social» est également réduit au respect du droit du travail.

La démarche choisie est une démarche de filière (ou chaîne de valeur), seule apte selon nous à garantir une véritable équité et durabilité. Pour chacun des produits, une étude économique doit être réalisée pour définir les niveaux de rémunération et de marge suffisants, ainsi que les aléas du marché.

Que penser de ce label et de son avenir ?

Selon la FNAB, celui-ci est né de la rencontre de la fédération avec le distributeur de surgelés Picard. Celle-ci a lancé début mars une gamme bio et local distribuée, à titre de test avant extension à d’autres régions, dans ses magasins de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie. Pour cette gamme, l’entreprise française a signé des contrats tripartites avec trois organisations de producteurs bio et un transformateur du Sud-Ouest. D’autres groupements de producteurs, d’autres entreprises et d’autres régions suivront-ils ? Ou bien ce label suivra-t-il le sort de Bio Cohérence, resté confidentiel plus de dix ans après sa création ?

Plusieurs éléments d’appréciation :

  • Si le nouveau label semble bien répondre aux exigences du commerce équitable, la réalisation des études demandées peuvent s’avérer coûteuse pour les les producteurs ou plus probablement les marques ou distributeurs engagés. En définitive, la réponse des consommateurs conditionnera la dynamique de développement du label.
  • Le label Bio Français Équitable se contente de suivre les exigences de la labellisation biologique, à un moment où celle-ci pose de nombreuses questions. En effet, «le bio» est de moins en moins un mode de production agricole, et de plus en plus considéré par de grands producteurs et des marques comme un marché pour lequel il suffit de suivre un cahier des charges techniques sans forcément respecter les valeurs d’origine de «la bio», comme l’explique notamment Claude Gruffat, ancien président de la fédération Biocoop.
  • Puisque le volet «environnement» se réfère uniquement à la labellisation biologique, et le critère d’origine porte sur la France entière, il ne s’agit pas réellement d’un label pour des produits locaux ou régionaux. Par ailleurs, le cahier des charges n’évoque pas de critères sur les produits composés de plusieurs ingrédients.

Or les interrogations des consommateurs, mais aussi des scientifiques ou des économistes sur «le bio» méritent d’être pris en compte. Le respect de l’environnement ne se résume pas au cahier des charges du bio. Les enjeux du changement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, de la monoculture ou du labour sur les sols, de la diversité des semences, de l’impact du transport aérien mais aussi maritime, posent aujourd’hui des questions importantes sur l’organisation de la production et des filières, y compris en agriculture biologique.

Continuer à considérer l’agriculture biologique et le commerce équitable comme des niches de marché avec un «surcoût» (formulation maladroite d’un rapport récent du Sénat) ou un «surprix» permettant aux producteurs de vivre et de travailler décemment est nécessaire, mais plus suffisant. Il est urgent de changer les règles du commerce non seulement international mais aussi européen et national, ainsi que celles de l’appui aux producteurs (Politique Agricole Commune et ses interprétations nationales). À défaut, seules les populations les plus aisées pourront se nourrir sainement auprès d’une minorité de producteurs rémunérés correctement.

Les labels peuvent constituer des «outils de transition» vers cet objectif, mais il est utopique de penser qu’ils répondront à tous les défis environnementaux, sociaux et économiques de l’agriculture et de l’alimentation actuelles.

Commerce équitable - Propositions pour des échanges solidaires au service du développement durable

Pierre Johnson, Consultant en développement et soutenabilité des filières et des territoires

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