Restauration des herbiers par une équipe de bénévoles © MHNA

Restauration des herbiers par une équipe de bénévoles © MHNA

Jean-Dominique Wahiche est directeur des Collections au Muséum National d’Histoire Naturelle, une des plus importante institutions mondiales consacrées à la recherche et à la diffusion du savoir naturaliste. Ces collections regroupent près de 62 millions d’articles (espèces végétales et animales, minéraux, outils et instruments humains…) provenant des 5 continents. Or, nombre des espèces conservées ici ont eu ou ont encore une utilité pour l’être humain : agricole, thérapeutique, cosmétique, etc. Or le Parlement Européen légifère actuellement sur l’accès aux resources génétiques et aux savoirs associés. Comment le MNHN perçoit-il les enjeux de cette future législation ? C’est ce que nous avons demandé à M. Wahiche.

Le texte en discussion est une proposition de «règlement du Parlement Européen et du Conseil en matière d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages qui en découlent». Celui-ci doit traduire les engagements du Protocole sur l’Accès et le Partage des Avantages issu de la Conférence de Nagoya en octobre 2010. Ce texte évoque largement les collections de ressources génétiques ou biologiques, et de savoirs traditionnels. Nous avons donc profité de cette actualité pour interroger M. Wahiche sur la façon dont le Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) gère les questions d’accès et de partage des avantages sur ces ressources, prévues depuis l’entrée en vigueur de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) en 1993, et précisée dans ce fameux Protocole de Nagoya.

Quelle est la procédure lorsqu’une entreprise ou un autre centre de recherche veut avoir accès aux ressources détenues dans une des collections du Muséum ?

Elle doit s’adresser à la Direction des collections du Muséum, qui le dirige vers le chargé de collection correspondant.

Doit-il/elle s’engager à respecter des clauses particulières concernant le partage de ces ressources, qui pourraient avoir une application commerciale (semences, pharmacie, cosmétique), y compris pour les laboratoires de recherche (matière de départ pour des recherches pouvant donner lieu à brevets, etc.) ?

Oui. Le cas échéant, il est mis en rapport avec le service de la valorisation, si l’objectif commercial est affiché ou implicite.

Les collections du MNHN ont été recueillies dans le monde entier. Beaucoup des échantillons proviennent d’une époque antérieure non seulement au Protocole de Nagoya, mais aussi à la Convention sur la Diversité Biologique (1993). La proposition de règlement pour l’application du Protocole de Nagoya en Europe envisage (c’est aussi la position je crois d’institutions comme le Muséum) d’agréer des collections entières comme «fiables».
Quel sens cet adjectif a-t-il quand souvent il n’y a pas eu de demande d’accès aux pays fournisseurs pour beaucoup de ces échantillons ?
Le MNHN prend-il du moins des précautions pour garantir que son usage par des tiers répond à des critères précis (cf 1. et 2.) ?

Comme nous l’avons indiqué tant à l’Union Européenne qu’au Ministère de l’Environnement, le Muséum ne pourra agréer au terme de collection «fiable» que pour les collections entrées postérieurement au protocole de Nagoya. Pour les collections antérieures, toutes les collections ne pourront répondre à un tel critère, soit parce que la localisation exacte de leur collecte n’est pas précisée, soit parce qu’il n’existait aucune législation nationale relative aux conditions de collecte.

Dans la pratique, lorsqu’une utilisation commerciale se dessine, c’est à dire lorsqu’une prise de brevet est envisagée, le service de valorisation prend l’attache de l’institution (ou autorité gouvernementale) partenaire ou qui a délivré l’autorisation de recherche, afin de convenir des modalités d’un partage, et l’indique au demandeur.
En outre, les conditions de prêt précisent l’obligation de revenir vers le Muséum en cas d’utilisation commerciale.

Certains fournisseurs argumentent sur le fait que le partage des avantages devrait s’exercer lors de l’utilisation des ressources génétiques par un utilisateur.  Mais le Protocole de Nagoya évoque plutôt le moment de l’accès à ces ressources, qui peut être bien antérieur au moment de l’utilisation. C’est un des points en débat au niveau européen. Quelle est la position du MNHN à cet égard ? Quelle position défend le gouvernement français sur cette question ?

Il s’agit en effet d’un point qui reste à clarifier. Pour la sécurité juridique, il serait préférable de s’en tenir aux principes de la CDB. En pratique et dans la mesure du possible, le Muséum prend l’attache de ses correspondants fournisseurs/pays d’origine lorsque se dessine une exploitation commerciale pour des ressources collectées même antérieurement au protocole, ceci afin de respecter l’esprit avant la lettre. Mais il peut s’avérer difficile, en pratique, de mettre ce principe systématiquement en oeuvre. Et il nous est arrivé de ne pas obtenir de réponse du partenaire contacté, soit parce qu’aucune organisation locale n’existe, soit parce que les partenaires d’origine n’existent plus, ces motifs n’étant pas limitatifs d’ailleurs…

Propos recueillis par Pierre Johnson, © 2013

 

Share This