Évaluation du programme Filière Ylang – Distillation Améliorée à Foyer Économe

En mars 2019, une équipe conduite par Pierre JOHNSON, consultant international, et comprenant Wassilati MBAE, experte de la filière ylang ylang des Comores, a mené l’évaluation de la 2e phase du programme FY-DAFE (2016-2019) de l’ONG Initiative Développement, financé par l’Agence Française de Développement, le Fonds Français pour l’Environnement Mondial et d’autres bailleurs. Cette évaluation a conclu à la pertinence, à l’efficacité et à la durabilité du projet dans ses principaux objectifs, et émis des recommandations pour la 3e et dernière phase du programme (2019-2021).

Contexte et objectifs du programme

L’archipel des Comores, au Nord-Ouest de Madagascar, dans l’Océan Indien, est le premier producteur et exportateur au monde d’huile essentielle (HE) d’ylang ylang, avec la meilleure qualité disponible. Celle-ci représente une ressource importante pour l’emploi et les recettes d’exportation du pays. La production et la distillation des fleurs sont concentrées à 80% sur l’île d’Anjouan, particulièrement touchée par les défis du développement (démographie, pauvreté rurale, déforestation accélérée). Fait peu connu des consommateurs, la distillation des huiles essentielles demande des ressources importantes, généralement fournies par le bois-énergie dans les pays en développement. Les équipements de distillation traditionnellement utilisés aux Comores et à Madagascar sont énergivores et même dangereux pour la santé des opérateurs.

Au cours de sa première phase (2013-2016), l’ONG a élaboré et diffusé à travers le programme FY-DAFE un modèle d’unités de distillation améliorées à foyer autonome (UDAFE), permettant de réduire la pression sur la ressource bois. La deuxième phase du programme (2016-2019) a mis l’accent sur l’extension de ce programme, la formation des acteurs, et la structuration de la filière sur un modèle équitable, compétitif et durable. En effet, une des leçons du programme est la limite représentée par une approche purement technique de la distillation, reposant uniquement sur le prototypage de nouveaux modèles plus efficients, et leur diffusion.

Unités de distillation aux Comores

Cette approche technique est nécessaire, mais les relations entre catégories d’acteurs, leur niveau de formation, et la répartition de la valeur ajoutée, déterminent en grande partie les possibilités d’un développement durable, compétitif et équitable de la chaine de valeur. Aussi, la formation et l’animation d’un processus de dialogue et de concertation entre les différentes catégories d’acteurs de la filière faisait l’objet de plusieurs volets du programme. Ce processus a pris plusieurs formes dans le cadre du FY-DAFE 2. En complément de ces actions orientées sur la filière ylang ylang, des actions de reboisement ont été initiées sur une partie de l’île, en partenariat avec Dahari, une organisation de la société civile comorienne.

Méthode d’évaluation et logique(s) d’intervention

Pour cette évaluation, nous avons pu mettre en œuvre une démarche d’évaluation à 360°, depuis un diagnostic global de la filière Huile Essentielle des Comores – Distillation Améliorée à Foyer Économe, jusqu’à une série d’enquêtes de terrain auprès des acteurs de la filière, après reconstitution de la logique d’intervention d’Initiative Développement. Ces enquêtes nous ont permis d’attribuer une notation à chacun des résultats obtenus, en suivant les critères de l’OCDE pour la coopération au développement.

La reconstruction de la logique d’intervention a permis de mettre en évidence la complémentarité de trois aspects du programme : technique (production et installation d’UDAFE, formation technique), environnemental (reboisement, en partenariat avec Dahari) et d’animation de processus de changement à l’échelle de la chaine de valeur. Ce dernier volet a pris une expression multiforme imprévue mais féconde : mise en place d’un cadre de concertation à l’échelle de la filière, définition de bonnes pratiques pour la filière avec le NRSC, et mis en œuvre de l’Approche Orientée Changement, un processus hautement participatif, dans la région du Nioumakélé. Les résultats de ces processus complémentaires et relativement poreux entre eux, sont apparus positifs et durables. Le programme a ainsi fourni les bases de la construction d’une Interprofession ylang ylang sous l’égide des acteurs et des administrations compétentes.

L’étude de la chaine de valeur effectuée par l’équipe s’appuie sur la méthodes Value Links 2.0 et sur une analyse socio-anthropologique inédite et exclusive du contexte de la production d’huiles essentielles à Anjouan. Ce dernier aspect de l’évaluation nous parait novateur, car le tissu socio-culturel qui contribue à la structuration de la chaine de valeur est souvent ignoré. Or il a une importance déterminante ici, du fait de l’importance des relations traditionnelles. Sur le plan économique, notre étude a permis de dégager une répartition type du revenu par acteurs (distillateurs, manœuvres, producteurs de fleurs, et cueilleuses), fournissant une base pour une répartition plus équitable de la valeur ajoutée et la définition de prix de vente et d’achat aux différents maillons de la filière.

Analyse de la chaine de valeur - HE ylang des Comores

L’évaluation

Voici, avec l’autorisation d’Initiative Développement, les principaux résultats de l’évaluation, dans l’ordre des résultats attendus du programme FY-DAFE 2 :

1. Volet UDAFE. Le programme a pleinement atteint ses objectifs par l’installation de 41 UDAFE sous le programme FY-DAFE 2, dont 35 directement par le programme. En conséquence, la pression sur la ressource en bois a été réduite de moitié par unité de distillation. Une centaine de formations ont été apportées à plus de 800 personnes, principalement techniques, mais aussi entrepreneuriales. L’équipe d’évaluation a identifié de nouveaux thèmes de formation utiles, comme la santé et la sécurité au travail. Les nouvelles générations d’UDAFE sont à chaque fois plus performantes sur le plan de l’efficacité énergétique, et leur prise en main demande un accompagnement

2. Volet reboisement. La mise en place d’un partenariat efficace avec l’OSC Dahari a permis de poser les fondations d’une gestion de la ressource en bois-énergie participative durable. La filière bois-énergie n’existe pas encore à Anjouan, et les plans d’approvisionnement en bois-énergie des unités de distillation restent encore un concept à développer. La filière HE ylang ylang est très dynamique, ce qui pose la question de la pérennité de la ressource en bois-énergie, malgré l’efficacité des UDAFE.

3. Formation technique des acteurs. 90% de l’objectif en termes de nombre de distillateurs formés à mieux gérer leur activité et ayant renforcé leurs capacités à produire des HE traçables de qualité a été atteint. Cependant, les résultats en termes de qualité et de traçabilité des HE2YC sont encore mitigés.

4. La structuration progressive de la filière sur un modèle équitable, compétitif et durable constitue un objectif important pour les acteurs de la filière et les partenaires du projet. Les activités proposées par ID pour atteindre ce résultat ont évolué au cours du programme, pour intégrer différents processus décrits plus haut. Les résultats sont positifs et le dispositif mis en place est relativement efficace, et surtout durable, du fait du caractère inclusif du dispositif mis en œuvre.

5. La valorisation des réductions d’émissions de carbone permises par le projet à travers les mécanismes prévus par une certification n’a pas eu le résultat attendu, du fait de l’écart entre la démarche participative et progressive du projet et la métrique des certificateurs carbone.

Radar - évaluation FYDAFE2

Perception des acteurs

L’enquête de terrain a permis de croiser les appréciations des différents acteurs sur les principaux résultats attendus du projet. À l’étape actuel, ce sont les distillateurs et les exportateurs qui ont perçoivent le mieux les bénéfices. Le volet ayant reçu une appréciation unanimement positive est celui visant à l’efficacité énergétique de la distillation, suivi par la formation des distillateurs et des manœuvres, qui l’ont apprécié, même si ces derniers souffrent d’un turnover important qui a empêché de toucher tous ceux exerçant actuellement. Les résultats du volet « filière durable » doivent devenir plus tangibles, notamment par les manœuvres, pour les acteurs de la filière au-delà des distillateurs et des exportateurs. Le volet « ressource en bois-énergie » est actuellement développé en partenariat avec Dahari dans une zone d’Anjouan, et sera étendu et rattaché à la filière dans la prochaine phase du programme.

 

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