Santé humaine et écosystèmes : une relation d’interdépendance
L’histoire nous donne un éclairage intéressant sur le lien entre l’émergence de pandémies et la perturbation des écosystèmes. En effet, de nombreux micro-organismes vivent dans les organismes d’animaux, souvent des rongeurs ou d’autres mammifères, pour lesquels ils sont moins létaux que pour l’humain. C’est le rapprochement de ces espèces, qualifiées par nous de «sauvages» des sociétés humaines qui est la cause de pandémies. Dans le cas du COVID-19, même si on ne connait pas l’origine précise de cette pandémie (pangolin ou chauve-souris), il s’agit sans aucun doute de la perturbation d’espèces ou écosystèmes auparavant éloignés de nous.
Une histoire ancienne
Un ouvrage récent1, traitant des relations beaucoup plus anciennes que ce que l’opinion pense entre la Chine et nous, contient un chapitre sur la peste noire (XIVe siècle), qui éclaire singulièrement la situation actuelle. Retenons deux faits intéressants :
- Des savants et des historiens de l’époque savaient déjà que de grandes calamités suivaient les périodes de perturbation des écosystèmes. À l’époque, ces perturbations étaient dus aux dommages causées par les hordes mongoles, dont les chevaux retournaient tout sur leur passage, mais aussi à des phénomènes de long terme, comme la chasse à la marmotte. Depuis les recherches d’Alexandre Yersin au XXe siècle, on sait en effet avec certitude que des rongeurs comme les gerbilles ou les marmottes sont les premiers hôtes de la peste, que des puces ont ensuite transmises aux rats qui infestaient les villes de l’époque.
- Des recherches récentes indiquent que la peste est probablement originaire d’Asie centrale (Kirghizie ou Tadjikistan), d’où elle a été apportée par les Mongols jusqu’à la Mer Noire, où des marchands génois (italiens donc), l’ont certainement ramenée en Europe. Dès cette époque, la mondialisation des échanges n’était donc pas sans danger. Ce qui ne signifie pas que les échanges internationaux n’aient eu que des effets négatifs.
Une érosion accélérée de la biodiversité
Si elle n’est pas nouvelle, la perturbation, voire la destruction des écosystèmes, et plus généralement de la biodiversité, prend aujourd’hui une échelle particulièrement inquiétante. La plupart des espèces ont une durée d’existence limitée sur Terre, aussi la disparition d’espèces est un phénomène normal, sur une échelle de temps géologique. Le rythme de disparition actuel des espèces animales ou végétales, estimé par les scientifiques de 1 000 à 10 000 fois plus rapide que le rythme habituel, devrait nous alarmer. Au-delà de ces chiffres, nous pouvons observer la simplification des paysages, la réduction drastique des populations d’oiseaux, de reptiles et surtout d’insectes.
La simplification de notre alimentation en est une illustration et une conséquence notables, avec une quinzaine de plantes représentant aujourd’hui l’essentiel de l’alimentation humaine. Le schéma suivant, déjà ancien, illustre un aspect la perte de la diversité alimentaire en 80 ans (comparez la partie haute et la partie basse) : celle des variétés d’espèces cultivées communes. Près de 4 décennies plus tard, le mouvement vers l’uniformisation alimentaire n’a fait que s’accélérer.
Quelle approche face aux maladies émergentes ?
Pour grave qu’il soit, le COVID-19 n’est sans doute que la dernière d’une série de pandémies plus ou moins sévères qui attend l’Humanité si celle-ci continue à perturber les écosystèmes. N’oublions pas non plus que de nombreuses autres maladies émergentes sont les conséquences de notre mode de développement économique, et des perturbations environnementales qu’il engendre. La médecine moderne avait fait disparaître nombre de maladies infectieuses du passé, mais en attendant la prochaine pandémie, l’incidence de maladies de civilisation comme les cancers ou les maladies cardiovasculaire s’est multipliée au cours des dernières décennies. En France, environ 2 790 personnes décèdent du cancer par mois, soit plus de 16 400 personnes au premier semestre 2020. Une bonne proportion de ces décès est due à la pollution ambiante, générée par les molécules de synthèses dégagées dans l’air, dans l’eau et dans les aliments.
L’analyse faite ci-dessus illustre l’intérêt d’une approche holistique de la santé humaine. Puisque nous devons abandonner l’idée que notre espèce pourrait maîtriser une catégorie aussi répandue et importante d’êtres vivants – les micro-organismes – il s’agit d’adapter l’activité humaine à la réalité de la vie sur notre planète. Les tentatives de faire l’inverse sont vouées à l’échec. C’est pourquoi les mots d’ordre comme «intégrer la biodiversité dans l’action de l’entreprise» rencontrent de sérieuses limites. La biodiversité ne peut être intégrée à aucune action humaine. La logique du vivant est un prédicat dont l’action humaine doit tenir compte.
L’action humaine peut s’inscrire de façon renouvelée dans les grands cycles du vivant, que ce soit à l’échelle planétaire ou à celle des écosystèmes locaux. Cela ouvre de nombreuses voies d’une vie heureuse, dans les limites planétaires, comme l’illustre ce schéma emprunté à Oxfam.
Dans cette perspective, l’approche One Health est prometteuse. Ce concept, que l’on peut traduire par «Une seule santé», introduit au début des années 2000, synthétise en quelques mots, l’idée que la santé humaine et la santé animale sont interdépendantes et liées à la santé des écosystèmes. Il devrait être élargi et largement diffusé, pour que l’Humanité prospère plus harmonieusement sur Terre.
1 Le Léopard de Kubilai Khan, une histoire mondiale de la Chine, de Timothy Brook, 2019. Je conseille à toutes et à tous la lecture de cet ouvrage, dont l’intérêt dépasse de loin la question des pandémies.