Au Ghana, les énergies fossiles représentent une véritable manne pour L’État, en termes de revenus et de devises. Celle-ci arrive juste après les hydrocarbures, les fèves de cacao, et d’autres cultures de rente en termes de vente. Mais l’exploitation pétrolière contribue au dérèglement climatique, tandis que le développement agricole peut mitiger celui-ci, à condition de suivre les principes de l’agroécologie. L’agriculture biologique peut constituer le premier pas dans cette voie.

 

1. Ressources fossiles et agriculture chimique

Une croissance dévoreuse de terres agricoles

Lors d’une mission au Ghana pour l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI) en septembre 2016, nous avons constaté une urbanisation sans freins dans la métropole d’Accra, la capitale. Selon nos interlocuteurs, spécialistes du développement agricole, les terres arables autour d’Accra disparaissent avalées par les projets de « développement » immobiliers. Ils nous ont montré des zones, déjà éloignées du centre, où les champs disparaissent sous les lotissements.

Sur le plan agricole, le Ghana a misé sa croissance économique sur l’usage intensif de fertilisants chimiques et de pesticides. Avec le développement de l’irrigation, ce trio caractérise la « révolution verte » lancée par les centres de recherche agronomiques dans les années 1960. Celle-ci a connu un certain succès, écartant les populations de certains pays en développement de la famine. Mais ce succès fut de court terme, car cette méthode de production, si elle diminue le travail de l’agriculture et augmente la productivité les premières années ou même décennies, réduit la fertilité contenue dans les sols eux-mêmes. Les semences améliorées utilisées, par leur homogénéité, sont souvent la proie de maladies dévastatrices, comme on a pu le constater dans les zones de production intensive de maïs, la banane ou l’ananas.

Le cacao : un or brun fragile

Le cacao est un fruit provenant d’un arbre d’Amazonie et d’Amérique centrale, se développant naturellement sous couvert forestier. Les pays qui respectent la végétation d’origine et le couvert forestier produisent les cacaoyers les plus appréciés du monde : Pérou, Vénézuela, Madagascar, etc. Les politiques de « développement » basées sur les exportations ont entraîné l’Afrique de l’Ouest dans un développement du cacao sur de grandes extensions, faisant de la Côte d’Ivoire et du Ghana, respectivement le premier et le deuxième producteurs et exportateurs mondiaux de ce produit. Car le cacao, que nous apprécions en Europe parfois presque quotidiennement, faisant du métier de chocolatier presque un art, est un produit presque uniquement destiné à l’exportation pour cette région du monde.

Malheureusement, les techniques de production employées minent le futur du cacao en Afrique de l’Ouest. Les producteurs ont observé que les terres les plus fertiles se trouvaient sous le couvert forestier de la forêt primaire ou secondaire. Lorsque ce couvert est abattu, le sol restitue sa fertilité, et les premières récoltes (5 ans après la plantation des arbustes) sont très bonnes. Mais l’écosystème, privé de son couvert d’arbres, devient alors rapidement porteur de maladies pour le cacaoyer. De plus, la fertilisation chimique devient rapidement nécessaire. Au Ghana, les campagnes d’aspersion de pesticides organisées par le gouvernement sont devenues quasiment obligatoires. Même si les fertilisants, importés, sont subventionnés, ils représente un coût non négligeable pour l’agriculture. Voilà comment tout un secteur se trouve pris dans un « piège systémique » coûteux et minant sa capacité à rebondir.

Les effets à long terme de la déforestation en zone cacaoyère sont maintenant visibles pour les chercheurs, accentuant localement les effets du dérèglement climatique. Ceux-ci anticipent les effets de ce dérèglement à l’horizon 2050, avec un recul marqué des zones propres à la culture du cacaoyer.

Un secteur fruitier qui ignore les astuces de la nature

D’autres secteurs souffrent du manque de compréhension des liens unissant la préservation des écosystèmes à la résilience et à la productivité des cultures vivrières ou de rente. Ainsi, la culture de l’ananas exige une rotation toutes les deux récoltes, et des mesures liées à la monoculture : désherbage (souvent mécanique), déracinement après la 2e récolte, prévention des maladies, etc. Par manque de compréhension des processus écologiques, les champs d’ananas sont couverts de coûteuses bâches en plastique, afin de prévenir la poussée d’adventices. Au lieu d’associer les cultures, on essaie d’empêcher les processus naturels… Autant dire que la rentabilité de cette culture n’est pas assurée pour les petits producteurs.

La production de mangue, de part son caractère fruitier, souffre un peu moins de ces dérives. Mais nous verrons qu’il est étonnant qu’un pesticide naturel pouvant être produit localement en grande quantité n’est pas plus répandu, et que la réponse préconisée contre la mouche de la mangue soit plutôt chimique.

2. Des producteurs pionniers

Un producteur bio à proximité de la capitale

Nous avons rencontré à quelques dizaines de kilomètres d’Accra plusieurs pionniers de l’agriculture biologique. Faisant confiance aux processus naturels et aux savoirs paysans, avec un sens du besoin des consommateurs, ceux-ci se sont lancé dans la production biologique de légumes, de mangue ou encore dans la pisciculture. Près d’Accra, le frère d’un roi local, d’une profession plutôt urbaine, fait prospérer les deux hectares de terre familiale en maraîchage biologique. Il a démarré il y a quelques années une production de poissons-chats dans l’étang creusé sur un des côtés du terrain. Celle-ci s’est trouvé tellement efficace, qu’elle permet à la famille de dégager un revenu complémentaire annuel sans beaucoup d’efforts. Quant aux légumes biologiques, leur vente repose sur la demande des consommateurs urbains en produits sains et sur le principe de la confiance, car ils ne sont pas certifiés. Toutes le fins de semaine, le producteur fait une tournée pour les livrer. Il y a certainement un système à inventer pour rapprocher ce type de producteurs (ils sont plusieurs autour de la capitale) et les consommateurs, en s’inspirant de l’agriculture soutenue par la communauté ou des associations pour le maintien de l’agriculture paysanne.

Des mangues bio à profusion

Plus près du barrage sur la Volta, l’eau ne manque pas. Tackie, un ancien employé d’Air Liquide Ghana, a acheté dans les années 1970 environ 500 hectares de terre qu’il consacre en grande partie à la production de mangues et à celle de plantes aromatiques sur 10 hectares. Le basilic thaï côtoie la roquette, le thym et des plants de tomates, entre autres. Comment fait-il pour éviter les insectes ? La recette est simple : fertilisation biologique, diversification, et application d’extrait de neem, l’argousier indien (Azadirachta indica), un arbre aux propriétés répulsives des insectes, qui a envahit l’Afrique de l’Ouest. La combinaison des manguiers et des plantes aromatiques permet de diminuer les risques quelque soit la pluviométrie de l’année en cours.

M. Tackie et l’équipe de l’ONUDI au Ghana. Crédit: Pierre Johnson

M. Tackie et l’équipe de l’ONUDI au Ghana. Crédit: Pierre Johnson

Cacao bio : une entreprise donne l’exemple

La production de cacao biologique apparaît comme un véritable défi, dans un contexte régional où la monoculture et les pesticides sont rois. Il y a dix ans, personne n’avait donné crédit au jeune ghanéen Yayra Glover, lorsqu’il enregistre la première entreprise d’achat de cacao biologique dans le pays. Au Ghana, le secteur du cacao est étroitement encadré par l’État. L’achat de la fève est fait par des entreprises nationales, les LBCs (Licensed Buying Companies) dûment enregistrées. Le bureau du cacao, COCOBOD, apporte une aide technique et des services, mais uniquement dans le sens de l’agriculture chimique, dite conventionnelle. L’aspersion gratuite des arbres en pesticides chimiques y figure en bonne place. En 2016, avec 500 tonnes exportées, Y. Glover Limited est une des plus petites de la trentaine de LBCs encore en opération. Mais elle a su développer un modèle d’encadrement et de collecte auprès de 4500 producteurs, qui pourrait bien faire école.

Cacaoyère crédit : Y. Glover Limited

crédit : Y. Glover Limited

3. Les principaux défis de la production biologique au Ghana

Le lecteur l’aura compris : tirée par une demande pas toujours perceptible par le producteur mais constante, l’agriculture biologique se développe au Ghana, à contre-courant des politiques menées au cours des dernières décennies. Chaque producteur ou entreprise doit donc trouver ses propres solutions pour produire sans intrants chimiques.

Trouver des intrants biologiques de qualité

Une approche, à la portée parfois limitée, est de calquer le modèle intrants – contrôle des maladies – production à l’agriculture biologique, en cherchant à substituer les intrants chimiques habituellement utilisés par des intrants biologiques. Se pose alors la question de la disponibilité de ces derniers.

A Accra, une énorme installation industrielle collecte et recycle 600 tonnes de déchets par jour, ramenées par une impressionnante flotte de camions. Mais le produit qui en résulte, même s’il est agréé, serait de piètre qualité pour l’agriculture biologique, le tri des déchets des ménages et des marchés n’étant pas fait à la source. Le professeur Ofosu-Budu Kwabena, chercheur à la Ghana de l’Institut de Recherche en Agriculture de la Commission à l’Energie Atomique du Ghana (BNARI-GAEC) effectue pour sa part des recherches sur la larve de la fourmi noire (Hermetia illucens) pour décomposer plus rapidement les déchets. Les premiers résultats sont positifs. Cette larve constitue en outre une excellente nourriture pour les poissons d’élevage.

Diffuser les principes de l’agriculture biologique

En suivant la même approche, on peut extraire des feuilles et du fruit du neem, un arbre venu d’Inde, des extraits qui repoussent efficacement les insectes nuisibles pour les fruits, et ainsi se passer d’insecticide chimique. Mais cette approche qui suit terme à terme l’agriculture conventionnelle pour en remplacer les processus a ses limites, comme le montre la production d’ananas, notamment. Le consommateur européen le sait peu, mais la production d’ananas est très exigeante du point de vue du sol et de la main d’œuvre. Au Ghana, les grandes plantations couvrent le sol de « mulch en plastique » pour éviter la poussée d’adventices, même lorsqu’elles sont en agriculture biologique. Or la notion même de « plastic mulch » nous a semblé aberrante : le vrai mulch, végétal, ne fait pas que protéger le sol et empêcher la pousser des adventices, il l’alimente peu à peu en se décomposant. Le plastique est au contraire à terme un agent polluant, qui ne se décompose ni n’alimente le sol. Il joue donc seulement l’une des multiples fonctions du mulch végétal. Une approche plus intelligente devrait inclure l’association et la rotation de cultures complémentaires sur les champs d’ananas.

Ananas Crédit : ONUDI Ghana

Crédit : ONUDI Ghana

4. Quel avenir pour l’agriculture biologique au Ghana ?

Au niveau international, l’agriculture biologique représente un marché de 70 milliards de dollars. Le champ pour la production biologique au Ghana est large et ouvert. Le pays a une tradition de production et d’exportation de produits agricoles sur laquelle il peut s’appuyer, tout en la faisant évoluer vers des méthodes respectant davantage les processus naturels, tout en étant un peu plus tournées vers la consommation locale. Les consommateurs commencent à prendre conscience des méfaits de l’agriculture conventionnelle pour leur santé, et les producteurs à percevoir que la production biologique n’est pas si compliquée, tout en leur offrant des perspectives intéressantes.

Comme le montre l’exemple de la production d’ananas, l’exportation des fruits et légumes est un secteur fragile, sous pression, du fait de coûts élevés de production et de transformation (réfrigération, notamment). Mais des arbres fruitiers comme la mangue ou la papaye peuvent très bien être cultivés sans chimie, moyennant les méthodes appropriées. Ceci leur donne une valeur ajoutée certaine, et permet de les distinguer sur le marché international. Pourtant l’Etat ghanéen apporte peu d’appui à l’agriculture biologique, privilégiant la productivité à tout prix. Le « bureau biologique » (organic desk), sis au sein du Ministère de l’Agriculture, n’a pas de moyens ou d’équipe propre. Il coordonne simplement une poignée d’activité, principalement de sensibilisation.

Producteur de carottes Crédit : ONUDI Ghana

Crédit : ONUDI Ghana

Le cacao biologique est un exemple de ce manque d’appui de l’État ghanéen à un secteur prometteur. Alors que les années précédentes les services de COCOBOD, le bureau du cacao avait couvert le coût des fertilisants et pesticides biologiques fourni aux producteurs dépendant de l’entreprise Yayra Glover, depuis 2015 ce n’est plus le cas. Le directeur du département de « protection végétale » affirme ainsi que COCOBOD ne peut pas avoir deux stratégies : l’une d’encadrer les techniques conventionnelles de culture de cacao, à grand renfort de campagnes de pesticides, et l’autre d’appuyer la production biologique. Le choix est donc fait de délaisser le secteur biologique, et de laisser les entreprises intéressées assumer tous les coûts spécifiques de la production biologique, malgré la valeur ajoutée indéniable de cette production.

Au Ghana, les citoyens consommateurs sont de plus en plus conscients des limites et dangers de l’agriculture conventionnelle et de son cortège d’intrants chimiques. Les institutions internationales infléchissent peu à peu leurs programmes d’appui en ce sens. Les pionniers ghanéens de l’agriculture biologique sont confiants dans l’avenir de leur modèle, et d’emporter peu à peu l’adhésion de la majorité.

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